KOSSEY SANDA, haut fonctionnaire et Toubou Nigérien.
(Écrit en avril 2020)
Les Toubous, ce que Jean Chapelle a appelé « les nomades noirs du Sahara », sont un peuple parlant une langue de la famille nilo-saharienne. Selon toute vraisemblance, les Toubous seraient venus du Yémen et peut être même au-delà, en traversant des pays comme l’Erythrée, l’Ethiopie, le Soudan avant de s’installer dans les massifs du Tibesti situés dans l’actuelle république du Tchad. De là, ils s’éparpillèrent dans leurs zones actuelles de peuplement donnant ainsi naissance à plusieurs sous-groupes à savoir les téda, les daza, les azza, les anakaza, les bolougouda, les kerra, les guézibida, les marawouda.
Les Toubous vivent aujourd’hui dans le nord-est du Niger, le sud de la Libye et le nord et nord-ouest du Tchad. Ces populations à l’origine essentiellement pasteurs et nomades ont progressivement migré vers des zones sédentaires où en plus, elles pratiquent d’autres activités notamment l’agriculture, le commerce et les activités du secteur tertiaire. Leur zone de peuplement actuelle s’étend des rives du lac Tchad aux confins du Tibesti et du Fezzan, traversant ainsi le cœur du Sahara soit environ 1.300.000 km2 de superficie (Catherine Baroin, Journal des Afriques 1986).
Les Toubous, ce peuple aux traditions millénaires, sont les véritables seigneurs du désert qu’ils admirent tant ; ce désert féerique qui offre une vue panoramique où le centre de gravité de la terre et l’horizon ne semble faire qu’un. Malgré la vacuité du désert, leur sens aiguisé de l’observation et de repère, leur permet de s’y déplacer aisément sans boussole ni GPS. C’est justement du fait entre autre de l’austérité de leur environnement désertique qui laisse très peu de possibilité de vie descente sans effort, que les Toubous ont développé des réflexes de vie au décuple qui n'auraient pas été nécessaires sous d’autres cieux. C’est certainement ce qui a façonné (du moins en partie) leur force de caractère.
La force de caractère des Toubous se trouve dans leur culture forgée au fil du temps par des pratiques ainsi que les adversités et défis de tout genre. En effet, la culture est l’ensemble de formes acquises de comportements dans une société. De ce fait, elle est le référentiel nécessaire à toute bonne orientation et le soubassement indispensable au progrès chez tout peuple. Chez les Toubous, la culture prend une toute autre envergure en ce sens qu’elle procure une certaine fierté d’appartenance à ses membres que seuls les initiés peuvent en ressentir.
Les Toubous appellent leur culture « KUNDUDO » dans leur langue. En effet, on nait Toubou, on ne le devient pas. Tout Toubou obéit aux règles définies dans le « KUNDUDO ». Le KUNDUDO est un véritable arsenal de règles de bienséance et de code de bonne conduite aussi complets que rigoureux auxquels sont astreints les membres de la communauté. Le « KUNDUDO » est composé d’articles appelés « koloko » que même les non-initiés succomberaient sous son charme s’ils en avaient l’occasion de le découvrir et la chance de saisir sa portée. Le « KUNDUDO » se distingue de part sa pertinence car son caractère protecteur et coercitif n’a rien à envier à la charte des droits de l’homme en matière de défense des droits humains ou au code napoléonien en matière de répression des crimes ou délits. Le « KUNDUDO » est si bien élaboré et structuré que les Toubous en sont fiers et ce, à la limite de l’orgueil. Du fait justement de la dextérité de son contenu, le « KUNDUDO » vient tempérer les ardeurs de ses propres adeptes en prévoyant des clauses régissant les relations avec les autres communautés. Ainsi, à travers cette culture Toubou dont le socle est constitué entre autre de bravoure et de témérité, il y a là une mine de valeurs qui peuvent servir de repères pour le progrès de nos pays par exemple sur le plan sécuritaire.
Je vous en donne juste quelques exemples afin d’illustrer mes propos.
Au titre des qualités individuelles, les traits de caractère les plus visibles chez les Toubous sont leur capacité à affronter les épreuves les plus rudes, à prendre les risques les plus invraisemblables, à relever les défis les plus redoutables, à vaincre les peurs les plus profondes. Ils suscitent ainsi l’estime même de leurs adversaires et inspirent la crainte de plus d’un ennemi. En effet, comme l’a dit William Shakespeare (extrait de Henry VI, 1591) : « la vraie noblesse est exempte de crainte. De tous les sentiments vils, la peur est le plus maudit…». Shakespeare n’avait pas tort, les Toubous ne connaissent pas la peur, pas même celle des armes modernes car ils estiment qu’avoir peur est une honte et la honte les Toubous la reprouvent. En effet, ces redoutables guerriers au sang chaud peuvent défier n’importe quel adversaire en vue défendre une cause noble.
Au titre des valeurs collectives, le « KUNDUDO » consacre l’intangibilité de la liberté pour les membres de la communauté et ce, à la limite de la limite de l'anarchie. Les Toubous ne s’abaissent jamais devant qui que ce soit, ils ne sont soumis à personne d’autre qu’à la loi. A cet effet, les Toubous sont si jaloux de leur liberté que même leurs propres autorités coutumières ne s’aventureraient à l’enfreindre en dehors des limites des règles définies par le « KUNDUDO ».
Les liens de parenté : s’il y a une valeur qui est sacrée chez les Toubous, c’est bien celle des liens de parenté. En effet, les Toubous sont l’une des rares communautés au monde où jusqu’à un niveau lointain de la généalogie, les gens se considèrent comme des parents très proches allant jusqu’à éviter le mariage entre les personnes issues de la même lignée. Chez les Toubous, ne pas savoir compter en remontant au moins jusqu’à son septième arrière grand-père des différents côtés de ses parents est tout simplement une faiblesse. Pour corroborer ce sentiment de proximité, par exemple au cas où un des membres de cette lignée est attaqué, tous les autres se précipitent pour défendre son honneur. De même, si d’aventure un membre de cette lignée est poursuivi par exemple pour le paiement d’une dette de « diya » c’est-à-dire la dette de sang, chaque membre adulte de la lignée y contribue pour payer en un temps record, les cents chameaux si la victime est un homme et la moitié si la victime est une femme.
La justice : La justice est une valeur cardinale chez les Toubous. En effet, ils sont si allergiques à l’injustice et à l’oppression qu’ils sont arrivés par plusieurs fois à prendre les armes contre les 3 Etats (Tchad, Niger, Lybie) desquels ils sont citoyens, pour se faire respecter et arracher leurs droits.
Mais aujourd’hui, les Toubous se sont peu à peu départis de cette image un peu belliqueuse voire va-t’en guerre afin d’opter pour l’alternative d’une force de propositions capable d’assumer et d’assurer son devenir autrement que par le conflit. Le temps n’est plus celui des armes et heureusement que les Toubous développent de plus en plus des comportements espiègles pour se faire entendre. Certes, quelques armes crépitent encore par endroit mais c’est plutôt pour se défendre dans le contexte d’insécurité généralisée que connait la zone sahélo-saharienne.
Cependant, ces trois Etats (qui abritent la communauté Toubou) feraient mieux de composer avec la donne Toubou car cette communauté habite des zones géographiquement très stratégiques et de surcroit riches en sous-sol. Ces 3 Etats ont donc tout intérêt à changer de prisme d’appréciation en ne percevant plus les membres de cette communauté comme des éléments subversifs voire déstabilisateurs ou bien leurs zones d’habitation comme des foyers de menace potentielle d’où pourrait surgir on ne sait quel péril, mais le tout comme une opportunité réelle de développement. Pour cela, les Toubou n’ont même pas besoin de ségrégation positive mais juste de justice et d’équité, leur talent se chargera du reste.
Cependant la globalisation aidant, le contact avec d’autres cultures a entrainé un bouleversement certain du mode de vie de ce peuple et par ricochet des interférences sont survenues dans sa culture. Etant une minorité linguistique, les Toubous ont vu leur culture jusque-là jalousement gardée, subir l’influence des autres. D’où on constate un début d’effritement de certaines valeurs qui ont jusque-là fait la fierté et l’orgueil de ce peuple. Malgré tout, le « KUNDUDO » tient bon face à cette mondialisation des cultures, mais pour combien de temps encore. Une culture qui n’arriverait pas à secréter son propre mécanisme d’immunisation ne peut résister à l’influence des autres à plus forte raison à l’usure du temps. Pour que leur culture ne subisse pas le même sort que celui des minorités culturelles emportées par la globalisation, les Toubous doivent « contre-attaquer » avant qu’ils ne soient poussés dans leurs derniers retranchements.
Le choix est simple : résister d’abord moralement face aux chocs externes et ensuite défendre vaillamment leur culture dans la pratique ou la laisser sombrer et eux avec.
Entre la survivance d’un passé glorieux encore fumant et l’entrée dans cette nouvelle ère moderne sans trop de grabuge, le choix ne peut qu’être cornélien. Dans cette communauté Toubou aussi instable que les dunes de sable qui l’entourent, tout a toujours été possible et tout reste à jamais imprévisible. Afin de préserver leur culture aussi bien dans son essence que dans son existence; les Toubou doivent créer les conditions d’une transition culturelle alliant tradition et modernité. Cette culture doit à la fois être solidement ancrée dans les valeurs traditionnelles et résolument tournée vers la modernité. Si les Toubous arrivaient à transformer leurs valeurs positives en dividendes culturelles, ils rivaliseraient avec les peuples les plus doués de ce monde en matière par exemple de quotient intellectuel.
C’est pour toutes ces raisons que je propose la tenue d’un forum international sur l’avenir de cette communauté non pas pour transformer cette occasion en une tribune de revendications à caractère identitaire mais pour poser les jalons d’un nouveau départ afin d’écrire une nouvelle page, pourquoi pas la plus belle de l’histoire mouvementée de ce valeureux peuple.
Enfin, à ceux qui penseraient que j’ai été trop volubile en superlatifs notamment d’éloges, je leur dis ceci : tout ce qui est écrit plus haut, vient du plus profond de mon cœur ; mieux, il est vérifiable à loisir.